Walt Disney, le conte et le merveilleux (première partie)
Walt Disney (1901-1966) est né (et mort) en décembre, son destin bouclant ainsi sur elle-même une existence passionnante – et passionnée. Son existence embrasse la première partie de l’histoire du cinéma, des premières images animées au Technicolor.
Je suis, sans doute comme beaucoup, d’une génération qui fut littéralement bercée par les productions Disney : mon premier film fut « Blanche-Neige » mais j’en ai tout oublié (sauf le cadeau que j’ai reçu à l’occasion de la séance) ; je me souviens en revanche de « 20 000 lieues sous les mers » dont l’esthétique influencera durablement par la suite nombre d’illustrateurs. Adolescent je découvris avec « Tron » le premier film basé sur de longues séquences en images de synthèse.
Techniquement avancés, du premier long-métrage animé (Blanche-Neige, primé aux Oscars), à ce film « numérique » originel, les films signés Disney mêlent, souvent avec habileté, un fonds culturel européen et des scénarios plutôt manichéens et lissés, parfois à l’extrême.
Ainsi, quelle différence entre Le livre de la jungle de Kipling, magnifique récit d’apprentissage, empreint de rudesse et de chaleur, et le long métrage d’animation signé Disney ! J’ai eu l’occasion de voir depuis, un autre dessin animé, « concurrent » de cette version, produit dans l’ex URSS. Là encore, que de contraste… Dans le roman comme dans la version russe, Kaa est un personnage bien plus complexe et plus redoutable, la mort qu’il porte est évoquée avec retenue, mais sans fard. La Loi de la jungle ne prévoit souvent pas d’autre sanction aux manquements des louveteaux…
Si techniquement donc, les productions Disney sont souvent innovatrices, elles sont en revanche, du moins pour celles qui ont suivi « Blanche-Neige », jusque dans les années 90, caractérisées par des édulcorations, parfois jusqu’au grotesque, des œuvres ou traditions dont elles sont tirées, pour en évacuer systématiquement tout indice de violence, au profit d’une morale certes saine, mais au final laborieusement démontrée.
Les travaux de nombreux intellectuels européens, de Joseph Bédier ou Vladimir Propp à Bruno Bettelheim sont assez convergents : les contes traditionnels, peuplés de créatures inquiétantes et qui voient le châtiment des « méchants », souvent exemplaire, participent de la construction d’une morale, d’une appréciation du bien et du mal. Leur côté fantastique masque, ou plutôt sublime le rationalisme sous-jacent de ces aventures souvent dures, qui confrontent la pureté et l’innocence aux forces mauvaises de l’esprit humain et de la nature.
Mais peut-on tout montrer au cinéma ? Les descriptions parfois cauchemardesques des contes traditionnels, comme des romans d’aventure du XIXe siècle, peuvent-elles être adaptées littéralement pour les plus petits ? La question est légitime, mais c’est là le grand hiatus entre Disney et ses sources : choisir de ne rien évoquer, c’est nier le caractère fondamental de la tradition.
D’autres cinéastes ont tenté l’expérience : Cocteau avec « La belle et la bête » d’où l’inquiétant merveilleux du conte originel n’est pas évacué, au contraire ; de nombreuses trouvailles cinématographiques en restituant la poésie baroque. D’ailleurs de nombreux dialogues sont exactement tirés de la version la plus connue du conte, celle de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (version abrégée, donc plus mystérieuse, du conte). A quel public le film de Cocteau s’adresse-t-il ? Le poète a choisi de ne pas choisir, intriquant d’une main sûre une intrigue amoureuse presque banale et la trame du conte merveilleux.
A suivre…
Laisser un commentaire